La Xème conférence internationale sur le sida s'est tenue à Yokohama, au Japon (7-12 août). Alain Minot, proche de l'association AIDES, connaît bien ce pays. Il a réalisé une étude des « comportements japonais face à la maladie ». Entretien.
Le sida existe-t-il au Japon ?
Alain Minot : Bien sûr, quoique de manière plus limitée que dans les pays occidentaux et dans les autres pays d'Asie. Au Japon, les estimations officielles (probablement sous-estimées) indiquaient, fin 1993, 3 000 séropositifs et 700 cas de sida. Les hémophiles et les transfusés représentent 2 000 de ces 3 000 cas. Il y a un énorme scandale du sang contaminé. L'autre principal mode de contamination est hétérosexuel. Il n'est pas rare que les hommes, célibataires ou mariés, aient des rapports avec des prostituées. Bon nombre d'entre elles sont originaires de Thaïlande ou des Philippines, pays fortement touchés par le VIH. C'est également en direction de ces pays que sont organisés les « sex tours ». L'usage du préservatif est très répandu. Mais il est avant tout considéré comme un moyen de contraception : il est donc peu utilisé lors de rapports avec un partenaire occasionnel. Par ailleurs, dans la société japonaise, il est très difficile aux femmes de proposer le préservatif (et plus encore de l'imposer).
La contamination par voie homosexuelle n'est pas rare (196 personnes séropositives fin 1993). En revanche, l'usage de drogues par voie intraveineuse est peu répandu au Japon (8 personnes contaminées de cette manière fin 1993).
S'il existe bien dans les faits, le sida est absent des mentalités. Les Japonais considèrent que c'est une menace venue de l'extérieur, loin de leurs préoccupations quotidiennes. Les premières campagnes de prévention avaient lieu dans les aéroports, à destination des hommes d'affaires qui partaient à l'étranger. On en est longtemps resté là.
Quelle a été l'attitude du gouvernement japonais, face au sida ?
A. M. : Elle est marquée par le désir d'étouffer l'affaire du sang contaminé. Celui-ci a été distribué jusqu'en 1987. Il s'agissait de protéger les intérêts des laboratoires pharmaceutiques nationaux.
En janvier 1987, la presse a rapporté le premier cas (officiellement reconnu) de femme japonaise contaminée par le VIH. Cela suscita un mouvement de panique dans la population : elle découvrait que le sida ne frappait pas seulement les étrangers ou les homosexuels. Les associations d'hémophiles pensent que cette campagne a été orchestrée par le ministère de la Santé : elle préparait le terrain à une « loi de prévention », dont le principal objectif était d'étouffer l'affaire du sang contaminé. Cette loi a été votée dans la précipitation. Elle est contraignante et discriminatoire (voir encadré). Elle a été vivement combattue par les associations d'hémophiles. Le gouvernement s'est finalement contenté d'exclure les personnes contaminées par transfusion du champ d'application de la loi !
Depuis 1989, plusieurs hémophiles ont intenté des procès au gouvernement. C'est extrêmement difficile : le fait d'être dévoilé comme personne séropositive peut détruire la vie professionnelle et privéeä
Comment la communauté homosexuelle japonaise réagit-elle face au sida ?
A.M. : En majorité, elle se comporte comme la population générale : on ignore le problème. On n'en parle pas. Cependant, des organisations militantes se sont créées. Elles en sont, pour la plupart, à leurs débuts : peu de militants, peu de moyens. De plus, la communauté homosexuelle japonaise est très fermée, très cloisonnée. Et certains organismes se critiquent l'un l'autre. Cela ne facilite pas le travail en communä
Le transfert de l'expérience acquise par les associations étrangères n'est pas évident : un questionnaire américain, destiné à évaluer les besoins des personnes malades, posait la question : « vivez-vous seul ? ». Au Japon, on ne peut pas aborder aussi directement un tel sujet. Sinon, la personne se sent blessée et se ferme. Pour réussir, les actions doivent tenir compte de la culture de ce pays.
Propos recueillis par Thierry PRESTEL
- Le médecin a l'obligation de communiquer à la mairie ou à la préfecture le nom et l'adresse de ses patients séropositifs (en indiquant le mode de contamination). Toutefois, les fonctionnaires qui obtiennent ces informations sont tenus au secret professionnel.
- Le médecin doit informer la mairie ou la préfecture lorsqu'un de ses patients « ne suit pas les prescriptions indiquées ».
- Mairies et préfectures peuvent « prendre les dispositions nécessaires vis-à-vis des personnes reconnues séropositives (ä) afin d'enrayer la contamination du sida ».
- L'immigration est interdite aux personnes séropositives.
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