DOSSIER


Lymphomes : formes cliniques

 

Le lymphome inaugure le sida dans 4 % des cas ou survient au cours de son évolution chez 5 à 10 % des malades. Cette dernière situation apparaît de plus en plus fréquente avec l'allongement de la durée de vie qu'ont permis les progrès du traitement antiviral ainsi que de la prévention et du traitement des infections opportunistes. Trois types de lymphomes sont observés au cours du sida, mais on retiendra avant tout les deux formes de présentation de cette maladie : l'une, chez des personnes peu ou pas immunodéprimées, réagit relativement bien au traitement ; l'autre qui survient sur une immunodépression profonde, « en fin de course du sida », est gravissime.

 

Le VIH, parce qu'il a pour cible précisément les lymphocytes, notamment leur sous-population T4 (ou CD4+), responsable de la régulation du système immunitaire, provoque un déficit immunitaire cellulaire (T) progressif. Le système immunitaire est tellement complexe que des anomalies de tous ses constituants apparaissent.

Au début de l'infection par le VIH, alors que les T4 peuvent encore être normaux en nombre (mais pas forcément en qualité), les T8 sont activés, d'où la fameuse baisse du rapport T4/T8. Les lymphocytes B se multiplient aussi trop vite et de ce fait les immunoglobulines (anticorps) sont produites en trop grande quantité : on appelle cela une hypergammaglobulinémie.

Les gros ganglions qui peuvent se développer chez un séropositif asymptomatique sont dus à cette stimulation des lymphocytes B (on appelle cela : lymphadénopathie bénigne chronique). Les ganglions grossissent lentement et de façon assez symétrique. Il peut s'y associer des signes généraux : fièvre, sueurs, perte de poids, fatigue (auparavant appelés ARC, aids related complex). Ce n'est pas un critère de sida, mais ce peut être un argument pour instituer un traitement antiviral, quel que soit le nombre de T4. Par ailleurs, certains médecins pensent que la lymphadénopathie chronique pourrait augmenter le risque de lymphome.

 

Trois types de lymphomes

 

Bien que cette réaction humorale (c'est à dire : due aux lymphocytes B) puisse contenir l'infection par le VIH pendant plusieurs années, elle peut dépasser ses objectifs et une population de lymphocytes B peut se cancériser, échappant au contrôle de l'immunité cellulaire (due aux lymphocytes T), qui est affaiblie. Une multiplication anarchique d'un ou de plusieurs lymphocytes peut survenir : un lymphome.

Au cours du sida, on observe une fréquence accrue de maladies de Hodgkin (un type particulier de lymphome) et surtout de deux types de lymphomes non-hodgkiniens (appelés ainsi car ce ne sont pas des maladies de Hodgkin) : le lymphome disséminé et le lymphome primitif du système nerveux central, tous deux développés à partir de lymphocytes B et particulièrement agressifs. Le virus d'Epstein-Barr (EBV), membre de la célèbre famille des herpèsvirus (qui comprend le virus herpès, le redouté cytomégalovirus et le virus varicelle-zona), est responsable de probablement la moitié des lymphomes non-hodgkiniens. Surtout dans la forme tardive. En effet, il infecte et stimule spécifiquement les lymphocytes B.

 

Lymphome non-hodgkinien disséminé

 

Il survient dans 75 % des cas chez des patients ayant plus de 50 T4. Les symptômes sont extrêmement variables, selon l'endroit où il se développe, puisque le tissu lymphoïde est partout. Il peut s'agir de gros ganglions palpables (souvent asymétriques et apparus rapidement) ou profonds (thorax, abdomen) mais les localisations extra-ganglionaires (hors des ganglions) sont très fréquentes : moelle osseuse, méninges (qui sont les membranes entourant la moelle épinière, située dans la colonne vertébrale, et le cerveau), système nerveux, foie, système digestif (bouche, ¶sophage, estomac, intestin, colon, rectum et anus). Le diagnostic doit être évoqué devant tout saignement digestif (la fibroscopie, la coloscopie sont alors des examens utiles). Une jaunisse par obstruction des voies biliaires, des douleurs anales, une pleurésie (atteinte de la plèvre, qui entoure les poumons) ou des troubles cardiaques doivent faire évoquer le diagnostic. Des signes généraux isolés également : fièvre, amaigrissement, sueurs nocturnes.

À noter que la croissance tumorale peut être extrêmement rapide (doublement de volume en moins de 48 heures) et nécessiter un diagnostic urgent. Dans ce cas la « fonte » du lymphome sous traitement peut être aussi rapide. Il s'agit en règle générale d'un lymphome dit de Burkitt.

Les examens de sang sont de peu d'aide, en dehors d'une élévation franche d'une enzyme appelée LDH ou du taux sanguin d'acide urique. Des examens radiologiques (scanner, IRM, scintigraphie) peuvent découvrir une tumeur. Si celle-ci est accessible, une ponction ou une biopsie permettra l'analyse précise du type et de la gravité du lymphome. Certaines infections opportunistes peuvent simuler un lymphome, d'où la nécessité de recherches microbiologiques systématiques (recherches de bactéries, parasites etc.).

Une fois le diagnostic établi, un bilan d'extension s'impose pour définir le traitement optimal : il comprend au minimum un scanner cérébral + thoracique + abdominopelvien (de l'abdomen et du bassin), une biopsie ostéomédullaire (on prélève de l'os et de la moelle osseuse) du bassin, indolore si bien faite, et une ponction lombaire à la recherche de cellules cancéreuses (l'atteinte des méninges peut être asymptomatique).

 

Lymphome primitif du système nerveux central

 

Ce lymphome se localise d'abord dans le système nerveux central (composé de la moelle épinière, située dans la colonne vertébrale, et du cerveau). Il est plus rare que le lymphome disséminé et, contrairement à lui, survient dans 75 % des cas chez des patients sévèrement immunodéprimés, ayant de nombreuses infections opportunistes à leur actif. Les symptômes présentés peuvent être des maux de tête, des troubles du caractère, de la mémoire, du langage, des crises d'épilepsie ou des signes neurologiques : faiblesse voire paralysie ou perte de sensibilité d'un hémicorps (moitié droite ou gauche du corps), douleurs faciales, troubles visuels, etc.

Le scanner (ou mieux l'IRM, examen encore plus précis) montrent une ou plusieurs masses intracérébrales (dans le cerveau), souvent semblables à celles créées par une toxoplasmose cérébrale. Étant donné l'urgence, un traitement antitoxoplasmique est immédiatement entrepris. Ce n'est qu'en cas d'échec qu'une biopsie cérébrale par ponction sous scanner doit être envisagée (le médecin introduit une aiguille au travers d'un os du crâne, en contrôlant son trajet grâce au scanner, et prélève un fragment de la tumeur. Cela se fait sous anesthésie locale). D'autres infections opportunistes peuvent aussi simuler un lymphome cérébral.

 

Maladie de Hodgkin

 

Bien que cela soit discuté, la maladie de Hodgkin apparaît plus souvent au cours de l'infection par le VIH. Le diagnostic est confirmé par la présence de cellules très particulières (dites de Sternberg) à la biopsie d'un ganglion. Cette maladie est souvent plus grave chez les personnes séropositives que chez les personnes séronégatives.

 

Dans tous les cas, le diagnostic précis du type de lymphome et de son extension est indispensable pour en évaluer la gravité et mettre en place un traitement adapté.

 

René FROIDEVAUX

 

 


Témoignage

 

 

Je témoigne ici pour un des fondateurs de Remaides, Philippe Beiso, décédé il y a trois ans et demi d'un lymphome associé au sida. Après un ARC, il était entré dans la maladie déclarée en 1988 par une toxoplasmose cérébrale. Un an plus tard, un 14 juillet resté gravé dans ma mémoire comme celui où nous nous étions rencontrés en 1982, il a développé une rétinite à CMV suivie de multiples rechutes. Le cathéter qu'il avait permettait en outre une nutrition parentérale partielle, des prélèvements sanguins hebdomadaires ainsi qu'occasionnellement une transfusion sanguine ou une cure d'amphotéricine pour sa candidose ¶sophagienne. Et j'en passeä Bref, un traitement lourd mais supportable de par le fait que nous étions tous deux internes des hôpitaux et l'accomodions à notre gré, en voyage notamment, sans subir les contraintes de l'HAD (hospitalisation à domicile).

En novembre 1990, Philippe a commencé de à plaindre de douleurs dans le bas du dos. Radios normales. Une kinésithérapie et des massages biquotidiens ont apporté une certaine amélioration, mais après 15 jours en Guadeloupe les douleurs sont devenues intolérables, l'empêchant totalement de s'allonger, même la nuit. Je crois les avoir niées pendant plusieurs semaines, l'accusant même de faire du cinéma.

Début janvier 1991, après des fêtes familiales très unies, nous sommes allés revoir un rhumatologue, sans résultat. Etant donné l'intensité des douleurs qui nécessitaient de petites doses de morphine, il a refait des radios. Je ne peux décrire le regard que nous avons échangé lorsque nous les avons regardées : une vertèbre lombaire était tassée. Une métastase (1) à l'évidence, d'un lymphome bien sûr dans ce contexte. Il a alors eu ces mots terribles : « il va falloir te préparer, nous avons un mois devant nous »ä Hématologue, il savait de quoi il parlait.

Mais dès le lendemain nous avons repris le combat avec l'espoir d'une localisation unique du cancer voire d'une autre cause de tassement vertébral, comme une tuberculose osseuse. En trois jours, le diagnostic et le bilan d'extension étaient faits : scanner lombaire et cérébral, échographie abdominale, scintigraphie osseuse, prélèvement de la tumeur sous anesthésie locale, biopsie du bassin, ponction lombaire et le reste. Il y avait plusieurs métastases osseuses et hépatiques, ce qu'il ne sut pas.

Un traitement était débuté : cortisone, chimio dans la ponction lombaire et radiothérapie massive sur les vertèbres lombaires qui l'a complètement soulagé. Je savais que ce n'était qu'un traitement palliatif, lui aussi.

Il n'est pas mort directement du lymphome, mais d'un ¶dème au poumon car son coeur était touché par le VIH. Cependant il a eu un effondrement de ce qui lui restait de système immunitaire, avec une explosion virale hallucinante comme en témoignait une antigénémie p24 que je reçus plus tard : plus de 25 000 !!!

 

R.F.

 

(1) - Une métastase est une localisation d'un cancer, ailleurs que dans son lieu d'origine.

 

 

Nous écrire