« Patchwork », titre du premier chapitre de cet ouvrage, en annonce la structure : vingt chapitres et autant de pièces indépendantes, reliées par le fil unificateur du sida, chacun en présentant un aspect rencontré par Bernard Paillard lors de son enquête de 3 ans dans la ville de Marseille.
Dans ce cadre, défilent donc les morceaux choisis de l'auteur -fatras des médecines douces, toxicomanie, prostitution, Baumettes, VIH ou version laïque d'un châtiment divin renvoyant à la faute et au péché, chrétiens, homosexuels, etc. Le tout sur fond de rivalités, antagonismes, manque de communication et contradictions entre associations, administrations, médias et politiques.
Le dernier chapitre, « Reliques », boucle tout naturellement le livre, rapportant avec une grande émotion l'histoire d'un autre patchwork, aussi symbolique mais bien palpable : chacun de ses panneaux, créé et cousu pendant de longues heures en mémoire d'un mort cher, évoque un être et une vie. Assemblés par la couture d'une fin similaire, ces panneaux déployés lors de manifestations, proclament et inventent une nouvelle forme de deuil adaptée à ce siècle.
« Le sujet a déboussolé mes principes sociologiques », nous livre l'auteur : cette recherche qui côtoie la maladie et la mort - un monde où l'action est plus urgente que la réflexion - s'est transformée en expérience individuelle. Balloté dans une réalité sociale aussi éclatée que le tableau clinique d'un sida déclaré, il se prend à douter de sa science, la sociologie. La certitude et l'objectivité des statistiques cachent (et finalement montrent) les a-priori, connaissances, intérêts, émotions et blocages des sociologues en particulier.
Mais voilà que tant de doutes et modestie soudain m'irritent. À chaque instant, l'auteur nous prévient contre les généralisations que cette succession de tranches de vie racontées, expériences forcément partielles et partiales, pourraient engendrer, alors qu'il faudrait pour les comprendre être aussi chroniqueur local, juriste, médecin, etc. Voilà qui est honnête. Mais oublie-t-il que même mis en garde contre des généralisations hâtives, ses « anecdotes sans doute (!) exceptionnelles » sont néanmoins ce que son lecteur va retenir et fixer.
Que va-peut-doit donc en tirer ce lecteur ? Même pour la bonne cause, le procédé rejoint, en moins caricatural, les méthodes médiatiques dénoncées : images-chocs. Même si Bernard Paillard prévient dès l'abord que voilà le livre d'un homme faisant profession de sociologue, et non d'un sociologue à l'abri de la bannière de sa discipline, pourquoi aussi ce titre, « Carnets d'un sociologue » ?
L'ÉPIDÉMIE ; carnets d'un sociologue ; Bernard Paillard ; éd. Stock.
Sylvie DUGEAY
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