YOKOHAMA


Antiviraux, immunothérapies, vaccins

 

La Conférence internationale sur le sida s'est tenue du 7 au 12 août 1994, à Yokohama, au Japon. Voici les principaux résultats qui y furent présentés, concernant les antiviraux et l'immunothérapie.

 

 

Associations d'antiviraux

 

In vitro (au laboratoire) trois antiviraux sont plus efficaces que deux, qui sont plus actifs qu'un seul. Chez l'être humain, on a des indices en faveur d'une plus grande efficacité des associations, mais on n'a pour le moment pas la preuve de leur intérêt clinique :

1) Sur une durée de 6 à 8 mois, AZT + ddI et AZT + ddC ont un effet comparable sur les T4 et la charge virale (quantité de VIH dans le sang). Effet plus important et plus prolongé que celui de l'AZT seul. Par ailleurs, la triple association AZT + ddC + saquinavir a un effet plus prononcé sur les T4 et la charge virale qu'AZT + ddC ou AZT + saquinavir (voir paragraphe : anti-protéases).

2) Deux études indiquent que les personnes prenant des associations auraient une durée de vie plus longue que celles qui ne prennent que de l'AZT, ou qui alternent (AZT, puis ddIä). Mais ces études, réalisées a posteriori, comportent des risques d'erreurs.

3) À l'inverse, l'essai ACTG 155 n'a pas montré de bénéfice clinique de l'association AZT + ddC, par rapport à l'AZT seule ou à la ddC seule, chez des personnes ayant déjà été traitées par AZT pendant longtemps.

En conclusion : aujourd'hui, avec les médicaments dont on dispose, le fait d'avoir ou non recours à une association d'antiviraux reste une décision individuelle, fonction de la situation clinique et biologique de chacun.

 

Pour la troisième fois, une étude indique que la prise quotidienne d'aciclovir (Zovirax®) prolongerait la durée de vie, sans qu'on sache pourquoi. Le bénéfice le plus net est observé pour les personnes ayant moins de 50 T4/mm3. Dans les deux premiers essais, l'aciclovir était pris à la dose de 3,2 g/jour, en association avec l'AZT. Cette troisième étude ne concernait que l'aciclovir, à la dose de 600 à 800 mg/jour. Le Zovirax® est habituellement très peu toxique. Mais, chez certaines personnes, son association avec l'AZT pourrait avoir des effets secondaires neurologiques (fatigue, somnolenceä). Signalons que toutes ces études ont fait l'objet de critiques méthodologiques. Par ailleurs, AZT et Zovirax® sont fabriqués par le même laboratoire, Wellcomeä

 

L'essai Zidon comparait AZT seul à AZT + interféron alpha, chez 402 patients ayant entre 150 et 500 T4/mm3. L'étude a été interrompue avant son terme car elle n'avait pas détecté de différence importante entre les deux groupes, sur le plan de l'efficacité clinique ou biologique face à l'infection à VIH (cette étude ne concernait ni le Kaposi, ni l'hépatite). Les effets secondaires étaient plus fréquents chez les personnes sous interféron.

 

 

Nouveaux antiviraux

 

Les anti-protéases bloquent la protéase (une enzyme du VIH, différente de celle sur laquelle agissent l'AZT, la ddI etc.). Une douzaine de laboratoires pharmaceutiques ont mis au point des médicaments de ce type. L'essai ACTG 229 concernait le saquinavir de Roche (dont le nom commercial sera Invirase®) : sur 6 mois, avec l'association AZT + ddC + saquinavir, les T4 remontent un peu mieux et la quantité de virus dans le sang baisse un peu plus qu'avec AZT + ddC ou AZT + saquinavir, sans toxicité supplémentaire. Cet essai concernait 300 personnes, ayant auparavant pris de l'AZT pendant au moins 4 mois.

Au sujet des autres anti-protéases, on n'a vu que des études in vitro (au laboratoire), bien que certains aient déjà fait l'objet d'essais chez l'homme. On a repéré la possibilité d'apparition de résistances. Point positif : ces médicaments semblent très peu toxiques et pourront sans doute être utilisés en associations multiples (soit avec AZT, ddI etc., soit entre anti-protéases).

 

Les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (NNRTI) agissent sur la même enzyme du VIH que l'AZT, la ddI etc., mais ont une structure chimique différente. La névirapine avait déjà fait l'objet d'essais. Comme avec la plupart des médicaments de cette famille, les résistances apparaissent très vite. À dose élevée (400 mg/jour), en association avec l'AZT, ce produit semble présenter un petit intérêt (hausse des T4 et baisse de la p24 un peu plus importantes qu'avec l'AZT seul). Cependant, les effets secondaires sont assez fréquents (surtout des &laqno; rash » : boutons, rougeursä).

La delavirdine (laboratoires Upjohn) semble elle aussi présenter une petite efficacité en association avec l'AZT (avec le même type d'effets secondaires que la névirapine).

Le loviride (laboratoires Janssen), au cours d'un essai contre placebo, chez 114 patients ayant plus de 400 T4/mm3, a permis une augmentation des T4 (de 10 à 20 %), qui a duré pendant les 6 mois de l'essai. Il semble y avoir peu d'effets secondaires. Ce produit fera l'objet d'essais en association avec l'AZT et avec AZT + ddI.

 

D4T : les effets secondaires les plus fréquents sont les neuropathies périphériques, suivies des troubles psychologiques (insomnie, anxiété et, dans quelques rares cas, crise de panique).

L'hydroxyurée est utilisée dans certains cancers. In vitro (au laboratoire) elle inhibe la multiplication du VIH dans les cellules infectées. Cet effet est renforcé en présence d'AZT ou de ddI. Les premiers essais cliniques (à Lyon et St Etienne) indiquent qu'à dose très basse (non toxique), une molécule proche de l'hydroxyurée pourrait présenter un intérêt, en association avec la ddI. D'autres essais sont en cours.

 

Le GLQ 223 (alpha-trichosantin) n'a pour le moment pas démontré d'efficacité. Il doit être administré en injections et donne souvent des effets secondaires (allergie, fièvre, fatigueä).

 

OPC-8212 (vesnarinone) est commercialisé au Japon, pour le traitement de certains troubles cardiaques. In vitro (au laboratoire) il bloque la multiplication du VIH (et la production de TNF-alpha et d'IL-6 par les cellules infectées, ce qui pourrait avoir un effet positif). Au cours d'un essai chez 12 personnes séropositives, l'OPC-8212 a été bien toléré, mais n'a eu aucun effet sur les T4 ou la charge virale. D'autres essais vont avoir lieu avec des doses plus élevées.

 

La L-FddC (un médicament dérivé de la ddC) a démontré son intérêt in vitro (au laboratoire). Des essais cliniques sont envisagés.

 

In vitro (au laboratoire) l'aspirine bloquerait la multiplication du VIH dans les cellules infectées, selon un article du journal Science. Il est prudent d'attendre confirmation de ces résultats. En sachant que, pris régulièrement, l'aspirine peut, chez certaines personnes, entraîner des saignements ou des ulcères du tube digestif.

 

Thérapie génique : les premiers essais devraient avoir lieu dans les mois qui viennent, sur de petits groupes de patients. Principe : on prélève des cellules au patient. On sélectionne les lymphocytes T4. On leur greffe un gène qui leur fera produire un ribozyme, enzyme qui coupe l'ARN du VIH. On réinjecte ces cellules au patient. In vitro (au laboratoire) cela marcheä

 

 

Début du traitement

 

Quand commencer le traitement anti-VIH ? Les résultats de deux grands essais (ACTG 019 et Concorde) montrent qu'en moyenne, chez les personnes asymptomatiques ayant plus de 350 T4/mm3 : a) l'AZT fait gagner 30 à 50 T4/mm3. b) sur un an, l'AZT réduit un peu le nombre d'événements cliniques (mais ceci n'a pas été observé au-dessus de 500 T4/mm3). c) sur deux ans et plus, l'AZT ne réduit pas le risque d'entrée dans le sida, ni le risque de décès.

Face à ces résultats, on a vu des médecins prêcher l'audace, et des activistes faire preuve de prudence ! Le Pr Volberding reconnaît les résultats de l'ACTG 019 mais reste paradoxalement convaincu qu'il faut traiter tôt par AZT (selon lui, en dessous de 500 T4, c'est sûr ; au-dessus, c'est probable).

À l'opposé, Mark Harrington, du Treatment Action Group, estime qu'il vaut mieux se conformer aux recommandations actuelles (en résumé : débuter l'AZT soit lorsqu'apparaissent des symptômes, soit lorsque les T4 baissent au dessous d'un certain seuil, sur lequel les médecins ne sont pas d'accord, mais qui se situe en tous cas entre 500 et 200 T4/mm3).

Une piste intéressante consisterait à repérer, parmi les gens qui ont un nombre élevé de T4, ceux qui ont un risque accrû d'évolution vers le sida. La mesure de la charge virale pourrait être utile (voir encadré : biologie). Ces personnes tireraient peut-être bénéfice d'un traitement précoce.

Autre question : vaut-il mieux commencer directement le traitement par des associations d'antiviraux ? L'essai Delta devrait apporter une réponse en 1995.

 

Une minorité de personnes présentent des symptômes, dans les jours ou les semaines qui suivent la contamination par le VIH. 77 personnes dans cette situation ont été inclues dans un essai de 6 mois (39 ont été traitées par AZT, 38 ont reçu un placebo). Les patients ont été suivis pendant un an et demi après la fin des 6 mois de traitement. Dans le groupe qui avait pris de l'AZT, les T4 se sont maintenus à un niveau un peu plus élevé ; il y a eu 1 infection opportuniste (contre 7 dans le groupe qui avait pris un placebo). L'intérêt à plus long terme de ce traitement très précoce reste à évaluer.

 

 

Antiviraux : infos diverses

 

Passage de l'AZT à la ddI : un essai canadien portait sur 245 personnes ayant entre 200 et 500 T4/mm3, ayant toutes pris de l'AZT pendant au moins 6 mois et le tolérant bien. Conclusion : en moyenne, le fait de passer à la ddI donne un léger bénéfice clinique (et une petite remontée des T4), par rapport au fait de rester sous AZT. Ce résultat confirme celui des essais américains similaires ACTG 116A et 116B/117.

 

Interactions du ganciclovir (Cymévan®) oral (en gélules) :

- avec la ddI : la concentration de ddI dans le sang augmente de plus de 50 %, ce qui accroît probablement le risque d'effets secondaires. En revanche, la concentration de ganciclovir dans le sang (déjà basse, avec le ganciclovir oral) baisse de plus de 20 %. Il ne semble donc pas souhaitable d'associer ces deux médicaments.

- avec l'AZT : la concentration d'AZT dans le sang et celle de ganciclovir augmentent, mais ces variations restent modérées : il est possible qu'elles n'aient pas d'effet clinique.

 

La ddC (Hivid®) favorise l'apparition d'ulcérations buccales (plaies dans la bouche) : elles touchent 29 % des patients (contre 15 % de ceux qui sont sous AZT). Elles sont plus fréquentes après 3 à 6 mois sous ddC. Les fumeurs sont un peu moins touchés que les non-fumeurs ! Enfin, dans cette étude, l'application de corticoïdes locaux a permis de traiter ces ulcérations, et de poursuivre le traitement par ddC chez la majorité des patients.

 

 

Immunothérapies

 

Le Pr Andrieu (hôpital Laennec, à Paris) est convaincu qu'il faut &laqno; calmer », et non activer le système immunitaire, car il est déjà stimulé, de manière anormale, par la présence du VIH. Le Pr Andrieu avait donné de la ciclosporine (un puissant immunosuppresseur, médicament qui inhibe le système immunitaire) à ses patients. En 1988, cela avait été présenté comme LE traitement du sida. C'était tout à fait faux. En 1992-1993, le Pr Andrieu a réalisé un petit essai avec de la cortisone (qui est aussi immunosuppressive). Il affirme avoir obtenu d'importantes remontées de T4 chez ses patients. Mais ses résultats sont difficiles à interpréter (certaines données n'ont pas été présentées ; pas de groupe placebo etc.). De plus, ce protocole n'a pas été soumis à un comité d'éthique (ce qui est illégal). Rappelons que la cortisone peut avoir des effets secondaires sérieux.

 

Immunothérapie active (&laqno; vaccination » de personnes séropositives) : les préparations à base de gp 160 (un fragment de VIH) de Microgenesys (Vaxsyn®) et d'Immuno paraissent bien tolérées. On n'aura de résultats d'efficacité qu'en 1995.

 

Plusieurs petits essais indiquent que les perfusions d'interleukine II permettent une importante remontée des T4, chez la majorité des personnes traitées (surtout celles qui avaient au départ plus de 200 T4/mm3). On ne sait pas encore si cela procure un bénéfice clinique. Des essais plus importants sont prévus. (Voir Remaides N°13).

 

Thierry PRESTEL

 


Biologie : intérêt des T4 et de la charge virale

 

Pour la mise en place des traitements préventifs (pneumocystose, toxoplasmose, mycobactériesä), le nombre de T4 reste essentiel. Pour l'instauration et la modification des traitements antiviraux (début de l'AZT, passage à un autre antiviral ou à une associationä), le suivi des T4 reste important mais il est clair qu'il ne suffit pas. Actuellement, d'autres marqueurs (bêta-2-microglobuline, antigénémie p24ä) jouent un rôle d'indicateurs complémentaires, sans être vraiment satisfaisants.

À Yokohama, on a beaucoup parlé de la &laqno; charge virale » (quantité de VIH dans le sang). Cette technique complexe et coûteuse a jusqu'ici été utilisée uniquement en recherche. Plusieurs études récentes montrent qu'il existe un lien entre charge virale et évolution de l'infection à VIH : parmi les personnes qui débutent l'AZT, celles dont la charge virale chute (après un mois de traitement) ont un risque d'évolution de la maladie plus faible que les personnes dont la charge virale ne baisse pas, ou peu. Le même phénomène est observé, lors du passage de l'AZT à la ddI.

Deux tests de mesure de la charge virale (RT-PCR de Roche et bDNA - ou ADN branché - de Chiron) devraient être commercialisés dans les prochains mois. Si son intérêt se confirme, la mesure de la charge virale devrait permettre de réduire la durée des essais d'antiviraux, mais aussi d'améliorer la qualité du suivi individuel des patients.

 


Femmes séropositives et grossesse

 

a) Plus l'infection à VIH de la mère est à un stade avancé, ou en phase évolutive (T4 bas, infection opportuniste, charge virale élevée), plus le risque que l'enfant soit contaminé est important. De plus, en cas d'infection avancée chez la mère, le risque que l'enfant souffre d'une forme grave et précoce de sida (avec atteinte du cerveau) est plus élevé.

b) Diverses études sur la césarienne ont donné des résultats divergents. Une synthèse de ces études indique que la césarienne ne réduit pas le risque que l'enfant soit infecté par le VIH.

c) Une étude franco-américaine (ACTG 076) montre l'intérêt de la prise d'AZT pendant la grossesse (à partir du second trimestre), pendant l'accouchement (en intra-veineux), et par le bébé, pendant les 6 premières semaines de vie : le risque que l'enfant soit contaminé par le VIH est alors de 8 % (au lieu de 25%, sans traitement). Cette étude ne concernait que des femmes ayant plus de 200 T4/mm3 et n'ayant jamais pris d'AZT auparavant. Cependant, aux États-Unis, les recommandations officielles préconisent désormais de proposer l'AZT à toutes les femmes séropositives enceintes (à partir du 2ème trimestre). En étudiant bien sûr chaque situation, et en en parlant avec la future mère. L'AZT ne présente pas de danger pour l'enfant à court terme, mais on ignore son effet à long terme. On ne connaît pas non plus l'effet des autres antiviraux (ddI, ddC), lors de la grossesse.

 

 

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