En cette première semaine de Mars, deux évènements associatifs montrent clairement les difficultés de la communauté marseillaise.
Vendredi 7 Mars se tiendra la première assemblée générale de bilan de l'ACGLM. Cette association, qui existe depuis l'automne 95, avait pour but principal la mise sur pied d'un projet de Centre Gay et Lesbien Méditerranéen.
Cette assemblée s'annonce difficile, beaucoup d'adhérents ayant tendance à la désertion.
Il faut reconnaître qu'il y a de quoi être déçu. Quelle que soit l'amitié personnelle que l'on porte à chacun des dirigeants, il est de fait que l'objet principal de l'association n'a pas été rempli.
La commission CGL, formée à l'assemblée générale du printemps 96, ne s'est jamais réunie. Pourtant, un article important avec photo a annoncé ensuite dans la presse locale la création du plus grand centre gay d'Europe, à la surprise générale.
Enfin, à la dernière assemblée de Novembre 96, la direction de l'association annonçait que Marseille n'était pas prête pour un CGL... sans que la commission en ait jamais parlé !
Nous avons pris acte, à cette même assemblée de Novembre, de la déclaration du président, Marc Billioud, qui annonçait sa candidature et celle de Christian De Leusse aux prochaines élections locales...
Pourtant, l'association n'est pas restée les bras croisés : durant l'année écoulée, elle s'est massivement investie dans la Gay Pride de Marseille, qu'elle a mené tambour battant, et avec un certain succès, notamment en ce qui concerne les relations entre les associations et les commerces. Elle s'est également investie dans la lutte contre le Sida, notamment pour le 1 Décembre, et le réveillon de Marseille a été un franc succès. Tout est certainement perfectible, mais il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas reconnaître que sur ces points, l'ACGLM a fait beaucoup mieux que ce qui s'était fait avant à Marseille. Qu'elle en soit ici encore remerciée.
C'est sans doute ce décalage, entre le projet pour lequel elle avait été mandatée et qu'elle a négligé, et les actions qu'on ne lui avait pas demandées mais qu'elle a réussies, qui explique le retrait silencieux de certains adhérents, dès l'assemblée de Novembre, qui ne réunissait déjà pas assez de membres pour pouvoir voter.
Reste à savoir si, au cours de l'assemblée de Vendredi prochain, l'ACGLM sera capable de faire son autocritique, de redresser la barre, devant un parterre d'adhérents suffisants pour pouvoir voter. A moins que tout ne s'écroule, et que la structure soit récupérée par certains, comme c'est l'usage à Marseille.
Sentant sans doute venir le vent, l'association a récemment envoyé un curieux courrier à ses adhérents, leur demandant soit de venir à l'assemblée, soit de démissionner au 31 Décembre, afin de permettre à ceux qui restent de voter valablement les décisions. A noter que ce courrier ne comportait ni bilan moral, ni bilan financier, ni candidatures de bureau, comme le prévoient les statuts. D'ailleurs il n'y a pas, à ce jour, de candidatures pour le renouvellement du Bureau...
Par contre, il est prévu de transformer l'association en CGL, sur la base d'un hébergement dans le café associatif d'Arc en Ciel, une autre association marseillaise.
Viens chez moi, j'habite chez une copine...
Que va-t-il se passer Vendredi?
Un parterre restreint de fidèles va-t-il avaliser des candidatures de dernière minute, quitte à transformer l'ACGLM en une coterie de personnes parmi les autres à Marseille, ou envisager un vrai débat sur le recentrage de l'association, à moins que ce ne soit la dissolution qui soit en vue...
Le deuxième évènement marseillais de la semaine, c'est le communiqué de l'association Arc en Ciel concernant le refus de soutien de certains pouvoirs publics de son café associatif, ce qui entraîne en cascade l'effondrement de son budget, et donc la fin du projet.
Arc en Ciel est une association récente, qui a fait en quelques mois un travail considérable.
Dans le paysage des associations locales qui "luttent contre le Sida", un certain nombre de canards boiteux se contentent de relayer l'information des autres, tout en prétendant émarger aux "budgets Sida" des collectivités, notamment de la DDASS.
Si cet "arrangement local" a visiblement fonctionné pour certains, la DDASS n'est plus dupe du procédé.
Il est dommage qu'Arc en Ciel fasse les frais de cette volte face. En effet, Arc en Ciel est la seule association de lutte contre le Sida qui associe la visibilité gay, le refus du ghetto, et l'accueil et la convivialité sociale, réunies dans un but unique : ouvrir un bar associatif en plein centre ville de Marseille, aussi bien pour montrer publiquement que les gays participent à la vie de la cité et à la lutte communautaire contre le Sida, que précisément pour les accueillir notoirement.
La direction de cette association est peu suspecte de menées personnelles, son travail efficace et sa démocratie le montrent. Les assemblées fonctionnent parfaitement, et la parole y est possible. En quelques mois, elle a trouvé et acquit un bar tombé en désuétude et son matériel, monté ses dossiers, rencontré des collectivités, établit un plan clair de démarrage avec travaux de rénovation, formation de l'accueil, création d'emplois en perspective.
Certaines collectivités ne s'y sont pas trompées, et malgré la jeunesse de la structure lui ont voté des crédits conséquents. Mais un budget ne vaut que s'il est complet. Au petit jeu du "je vous donne si vous avez l'aval de..." en cascade, voilà maintenant Arc en Ciel devant le refus de soutien de la DDASS, qui entraîne celui du sous-préfet...
Sans doute Arc en Ciel pourrait-elle clarifier le fonctionnement de son projet, car il semble que la DDASS lui reproche le "grand écart" d'un contenu un peu flou, que ne dissipe pas, au contraire, l'éventualité d'héberger l'ACGLM.
La lecture des statuts ne saurait y suffire, on sait ce qu'on peut faire avec une 1901.
Reste que l'on se pose la question : est-ce un prétexte pour l'administration, dont on sent venir la volte-face nationale sur la prévention du Sida, rien qu'en voyant la nervosité des associations ténors du secteur?
Il semble, jusqu'à plus ample informé, que la DDASS n'ait pas demandé une clarification du projet "pour voir si", mais bien opposé un refus "parce que".
En d'autres termes, il n'est pas prévu de repêchage.
Pratiquement, Arc en Ciel se retrouve devant un choix simple : abandonner le projet, ou tenter de mobiliser toute la communauté, voire au niveau national, pour sauver l'entreprise.
Le communiqué d'Arc en Ciel laisse penser qu'elle a choisi la position de combat, et au grand jour. Les premiers soutiens sont arrivés.
Ce qui couve à Marseille serait-il l'amorce d'une unité militante devant le pouvoir?
On le sait sournoisement homophobe, et le financement massif du Sida n'a été que le transfert de responsabilité vers les associations, pour ne pas retomber dans les affaires judiciaires de négligence, comme le sang contaminé.
Mais justement, ce n'est pas cet argent-là qu'Arc en Ciel demande, mais celui qui est dû à une communauté comme une autre.
L'administration se livre à Marseille à un "grand écart", en refusant de soutenir financièrement cette communauté pour ce qu'elle est, et lui promettant un peu d'argent du Sida pour des actions très spécifiques, dont chacun sait qu'elles sont dépassées, sur des budgets qui vont disparaître. Cela s'appelle "tirer le tapis sous les pieds".
Il fallait bien qu'à force de tirer la corde casse, et l'homophobie administrative apparaît donc toute nue.
Que va faire la communauté ?
Ne manquons pas les prochains épisodes... En attendant, prenez soin de vous et sortez couverts.
Le Canard Déchaîné
Marseille, 3 mars 1997
Donald
Suzzoni