Élections 2001
Réponse de Bertrand Delanoë

Monsieur le président,

Je vous remercie d'avoir pensé à m'interroger sur la question homosexuelle à Paris. Dans cette réponse, les questions que vous m'avez posées sont abordées successivement. Je tiens à souligner que ce courrier vaut engagement de ma part.

Sur les couples

Le pacs est désormais en vigueur, et le concubinage inscrit dans la Loi. Dès lors, le couple est reconnu, qu'il soit homosexuel ou hétérosexuel, qu'il signe un pacs ou qu'il existe simplement dans les faits. Ces éléments relativisent l'obstruction mise à la délivrance de certificats de vie commune par les maires de droite à Paris. Toutefois, je rappelle que la décision de délivrer de tels certificats relève juridiquement de la seule appréciation politique du maire d'arrondissement. Les six mairies confiées à la gauche à l'issue de la campagne que j'ai menée en 1995 en délivrent depuis de nombreuses années. L'ensemble des mairies dont la gauche aura la responsabilité continueront.

De même, les couples de même sexe auront accès au logement social de la ville dans les mêmes conditions que les couples de sexes différents, comme c'est déjà le cas dans les arrondissements de gauche. Quant aux employés municipaux pacsés, je proposerai qu'ils bénéficient des mêmes avantages que les couples mariés à situation de famille analogue. Je vous rappelle que cette mesure a été adoptée au Conseil Régional d'Île de France lorsqu'il est passé à gauche en 1998. Nous opérerons de même à la Ville de Paris. Votre question porte aussi sur le pacs en tant que texte de loi. Une commission d'information parlementaire sur l'évaluation de l'application du pacs un an après a été mise en place sous la responsabilité de Jean-Pierre Michel et Patrick Bloche - votre association a déjà été auditionnée sur ce sujet. À terme, il appartiendra au Législateur, et pas au Maire de Paris, de faire évoluer le pacs si cela apparaît nécessaire.

Sur la lutte contre la discrimination

La lutte contre la discrimination, quel que soit son motif, est une tâche difficile en pratique. Toute forme de discrimination est à proscrire, qu'elle soit de nature raciste, homophobe, sexiste ou autre. Je serai particulièrement attentif aux situations de discrimination qui pourraient être vécues par le personnel municipal. Si je suis alerté de telles situations, j'agirai bien sûr pour qu'elles cessent.

Comme je l'ai déjà exprimé publiquement, je redis mon engagement à organiser des campagnes de lutte contre toutes les formes de discrimination, y compris celles liées à l'orientation sexuelle. Ces campagnes viseront la population comme le personnel municipal, notamment lorsqu'il est en relation avec les jeunes ou le public général.

Les personnels d'encadrement des jeunes et les personnels de gardiennage employés par les bailleurs sociaux doivent par ailleurs être sensibilisés, notamment lors de leur formation initiale et continue, à la diversité des modes de vie. La lutte contre l'homophobie doit faire partie des objectifs pédagogiques de leurs formations. Les projets de lutte contre la discrimination portés par les organismes où la municipalité est représentée seront soutenus par mes représentants (hôpitaux, CROUS, HLM, écoles, lieux culturels ou sportifs, etc.) si je suis élu Maire de Paris.

Enfin, nous informerons la Commission Départementale d'Accès à la Citoyenneté (CODAC) de toute affaire qui relève de ses compétences. Réciproquement, nous instruirons les affaires suivies par la CODAC qui concerneraient les services municipaux.

Sur les familles

Le Conseil de Paris, réuni en Conseil Général, s'exprime sur l'agrément relatif à l'adoption. J'entends fonder les décisions en cette matière sur les mêmes principes qui guident toute notre action politique : le respect de la loi, et le respect des personnes.

Les revendications qui relèvent de la loi ne sont pas du ressort du Maire de Paris, mais du Gouvernement et du Parlement. Je respecterai donc la loi en vigueur, tout en veillant à respecter les personnes, donc à mener une politique non-discriminatoire.

Sur les situations de grande précarité

Il arrive encore aujourd'hui que des jeunes soient violemment rejetés par leurs parents lors de la découverte de leur homosexualité. Face à ces situations critiques, qui conduisent parfois à la prostitution, des appartements seront temporairement mis à disposition pour diminuer le risque d'échec scolaire et d'exclusion. Ceci s'accompagnera d'un soutien adapté psychosocial, mais aussi juridique, assuré par des professionnels spécialement formés.

Il en va de même pour le financement d'un lieu de ressource pour les personnes prostituées, à l'instar de Subway à Berlin. Ce lieu, qui doit être non-mixte pour atteindre ses objectifs, permettra aux usagers de prendre une douche, de trouver un lit, d'accéder à une consultation médicale, juridique, et surtout de pouvoir avoir un rapport socialisé avec les personnes du centre et les autres usagers.

Par ailleurs, la question du suicide des jeunes ne peut pas laisser indifférent lorsqu'on voit les statistiques. Vous m'interrogez sur les suicides qui seraient liés au rejet social de l'homosexualité. La mise en oeuvre de notre programme de lutte contre les discriminations devrait apporter une contribution à la lutte contre ce phénomène. Pour aller plus loin, il me semble nécessaire de faire des études sociologiques solides sur cette question afin de pouvoir adapter les politiques publiques.

Sur les associations

Le rapport entretenu avec les associations par l'équipe municipale sortante est anormal : manque de transparence, absence de concertation, soutien à des associations dont le rapport avec la vie des Parisiens est douteux. Les associations homosexuelles connaissent bien cette situation, car elles ont été toujours purement et simplement ignorées.

Nous avons rendu publique une charte pour nous engager sur un nouveau partenariat avec les associations de Paris, vous la trouverez ci-jointe. Elle préconise la mise en place d'un partenariat entre la nouvelle municipalité et les associations, fondé sur le respect de l'identité et de l'indépendance de chacun, sur la transparence et la confiance réciproques. Nous voulons travailler avec les associations en les consultant après les avoir informées, car la concertation est la clé de l'exigence démocratique. Nous créerons une Maison des associations dans chaque arrondissement, accessible à toutes les associations.

Pour ce qui concerne plus spécifiquement les associations homosexuelles, l'équipe municipale sortante n'a jamais perçu la nécessité de les soutenir et les a toujours traitées comme des pestiférées. Ainsi, aucun projet associatif homosexuel n'a obtenu la moindre subvention sociale ou culturelle de la Mairie, alors que le budget associatif de la ville s'élève à plus de un milliard de francs. Ces rapports de défiance doivent cesser à l'heure où plus personne ne conteste aujourd'hui l'importance et la nécessité des associations homosexuelles, qui permettent d'associer lien social et prévention en remplissant un rôle d'accueil, d'information, d'écoute, et de socialisation.

Je m'engage à donner aux associations homosexuelles un accès équitable aux équipements municipaux, aux subventions, aux parrainages, aux baux sociaux, à l'information et à la publication dans les documents municipaux. Cet accès sera évalué en fonction de leurs besoins et projets, comme pour toutes les associations, avec des modes opératoires communs et transparents pour définir et évaluer les objectifs et les subventions. Des financements pluriannuels seront mis en place. Enfin, il est évident, dans mon esprit, que les activités associatives qui ne relèvent pas de la prévention du sida seront soutenues dans le respect de leur véritable objet (action sociale, jeunes, sport, culture, etc.).

L'opprobre jetée par les décideurs publics préfigure et légitime souvent la discrimination, à tous les niveaux. Je combattrai l'une et l'autre pour les faire cesser à la Mairie de Paris.

Sur la lutte contre le sida

Paris est la grande ville européenne la plus touchée par le sida. Je considère que la municipalité doit mettre en oeuvre une politique énergique de prévention et d'aide aux personnes atteintes. Notre politique se décline en trois volets essentiels : la prévention, le logement, l'emploi, étant entendu que des soins de qualité doivent être assurés pour tous. Des messages de prévention seront régulièrement diffusés, y compris en direction de populations spécifiques (personnes migrantes, homosexuels, toxicomanes, jeunes, etc.).

En outre, se soigner convenablement est impossible quand on vit dans la rue, dans un logement précaire ou insalubre. Nous mettrons en place une commission chargée de définir des critères justes et transparents d'attribution des logements sociaux aux personnes malades et de veiller à leur application. Tout sera fait pour assurer le maintien à domicile des personnes malades : aides à domicile, recours au Fonds Social du Logement pour éviter les expulsions, création d'une allocation spécifique de maintien à domicile quand les dispositifs classiques ne suffisent plus.

Enfin, la Ville renforcera son implication pour favoriser l'emploi des personnes malades en augmentant le financement des associations compétentes et en s'engageant elle-même à offrir de réelles possibilités d'embauche et de carrière dans l'ensemble des services dont elle a la responsabilité.

Sur la mémoire

La collectivité se doit de nourrir la Mémoire, ferment de l'intelligence et du discernement dans notre approche des nouveaux problèmes. Je tiens à vous réaffirmer mon attachement à ce que l'étude de la déportation des personnes homosexuelles pendant la seconde guerre mondiale établisse enfin la vérité. Les cérémonies de souvenir de la déportation ne sont pas organisées sous la responsabilité du Maire de Paris, mais de l'État et des associations d'anciens déportés et combattants. Concernant la participation des associations aux préparatifs, je ne peux que m'engager à sensibiliser le Ministre à leurs demandes répétées chaque année.

Au-delà de la mémoire de la déportation, le mouvement homosexuel français a toujours été fragile lorsqu'il s'est agi, depuis cinquante ans, de conserver et transmettre son histoire : écrits, témoignages, presse, revues, photos, etc. C'est pourquoi la possibilité de créer un lieu de documentation, d'information et de recherches autour de cette mémoire a retenu toute mon attention. Ce lieu serait organisé autour des fonctions d'accueil, de documentation (bibliothèque, vidéothèque, point internet et centre de presse), d'exposition et d'archivage.

L'amnésie fait le lit de l'intolérance et du rejet. La ville de Paris, témoin de tant de pages d'Histoire, se doit de cultiver sa mémoire.



Pour finir, je vous remercie de m'indiquer que la prochaine marche de la Lesbian & Gay Pride aura lieu le 23 juin 2001. J'ai pris part à la manifestation depuis de nombreuses années, bien avant que la foule soit au rendez-vous ou que la campagne ait commencé. Je continuerai à soutenir la marche et à y venir à l'avenir, que je sois Maire de Paris ou non. J'ai le plaisir de vous adresser divers documents qui reprennent mes propositions. Ils compléteront ma réponse sur l'ensemble des points abordés ou non dans ce courrier.

Je vous prie de recevoir, Monsieur le Président, ...

Bertrand Delanoë

Pièces jointes :
Dialoguer avec les parisiennes et les parisiens
Contrat de l'alternance
Charte pour un partenariat avec le monde associatif