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Par Le |
Car l'enjeu, historique, se situait bien là. Il s'agissait non seulement de donner des droits à ceux qui n'en avaient pas, mais aussi, au-delà de ce seul objectif, de reconnaître le couple de façon contractuelle, en lui donnant des droits et devoirs propres et en lui ménageant un espace plein et entier dans le Code civil. Pour la première fois, on parlait du couple sans parler de famille. Le couple, devenu un objet du discours politique, se voyait en effet doté d'une reconnaissance sans qu'il lui soit demandé de légitimer son existence par une potentialité procréatrice. Le Pacs est en somme une belle réalisation: il fait du couple un nouveau référent social, élément structurant de la société. Deux ans après son adoption, le Pacs, à l'usage, a néanmoins révélé de lourdes insuffisances, autant d'inachèvements que nous avions déjà repérés lors des débats parlementaires et qui affaiblissent la portée symbolique de la loi. Le plus grave concerne le droit des couples binationaux à vivre ensemble sur le territoire français. La circulaire d'application du 10 décembre 1999 réserve en effet l'attribution d'un titre de séjour portant la mention «vie privée et familiale» aux couples pacsés pouvant justifier de trois ans de vie commune en France. Ces dispositions incitent tout simplement les étrangers pacsés à vivre en situation irrégulière jusqu'à ce qu'ils aient réuni suffisamment de preuves de leur séjour - clandestin - en France, au terme de ces trois années. L'intervention discrétionnaire de députés et de ministres aura évité quelques drames, tout en démontrant l'inadaptation de cette réglementation. Autre inachèvement: il faut attendre l'année du troisième anniversaire d'un Pacs pour être soumis à l'imposition commune sur le revenu, comme si contracter un Pacs et bénéficier des droits étaient a priori suspect. Enfin, bien que le Pacs ait rejoint le titre I du Code civil et affecte la situation personnelle des partenaires, le gouvernement a pris soin de tenir le Pacs à l'écart des mairies, donc de l'état civil. Dès lors, une interrogation, terrible, vient à l'esprit des plus fervents défenseurs du Pacs: et si l'objectif d'égalité en droit et de non-discrimination avait été sacrifié sur l'autel de la reconnaissance? Huit pays de l'Union européenne ont déjà adopté un statut de couple accessible aux couples de même sexe. Les Pays-Bas leur ont ouvert le mariage, en toute sérénité, et la Belgique s'apprête à le faire. La plupart de ces pays ont fait évoluer leur droit dans le sens de l'égalité, afin de mettre un terme aux discriminations légales dont les couples homosexuels sont victimes. Le Parlement européen s'est plusieurs fois déclaré partisan de cette évolution. Dans un souci de globalité, certains pays ont été amenés à modifier des dizaines de textes de loi pour supprimer ces discriminations (68 au Canada); d'autres, par exemple en Scandinavie, ont préféré calquer leur loi de partenariat sur le mariage, quitte à en exclure dans un premier temps les effets liés à la filiation. La France a fait au contraire le choix d'un statut original, ouvert à tous les couples, mais dont les effets sont limités: la reconnaissance d'abord, l'égalité parfois. En résultent des discriminations qui doivent aujourd'hui être supprimées. Dans les ministères comme dans les partis politiques de la majorité, plus personne parmi nos interlocuteurs ne prétend que le Pacs serait un cheval de Troie de la fraude fiscale ou de l'immigration clandestine. Tout le monde reconnaît que les 100 000 pacsés représentent une charge supplémentaire anecdotique et que le coût budgétaire de la suppression de ce délai est probablement ridicule comparé au programme de réduction d'impôts de 120 milliards de francs. Comme le suggèrent Patrick Bloche et Jean-Pierre Michel dans leur rapport d'information auprès de l'Assemblée nationale, rien ne justifie d'attendre encore: la discussion de la loi de finances en deuxième lecture sera la dernière occasion pour ce gouvernement de rectifier le tir. Quant au droit au séjour, dans l'immédiat, il ne s'agit que de réécrire la circulaire d'application en faisant une lecture de la loi plus fidèle aux intentions du législateur pour sortir les couples binationaux de la clandestinité, en attendant une refonte du dispositif d'accès au séjour. Là encore, un statu quo signifierait une volonté délibérée de maintenir une discrimination, dès lors que l'effort demandé dans l'immédiat ne remet pas en cause le texte de la loi. Quand certains parlent d'abroger le Pacs, quand d'autres, comme les conseillers de Paris de l'opposition, votent contre l'extension aux fonctionnaires pacsés des avantages réservés à ceux qui sont mariés, ou encore lorsque le Sénat rejette l'extension de la rente viagère en cas de décès d'une victime de maladie professionnelle au survivant pacsé, il devient urgent de consolider les acquis, et d'effacer ce goût d'inachèvement. |