DE L'INDIFFÉRENCE À L'HORREUR

Il y a des faits et des images qui ont fait basculer l'opinion publique de l'indifférence à l'horreur. Il aura fallu que les américains voient l'image de cette petite vienamienne, brulée par le napalm, qui courait sur une route, pour qu'ils prennent conscience de l'horreur de leur guerre. Pour une majorité de gens, les violences dont sont victimes les homosexuels ou les transsexuels se situent dans un ailleurs lointain qui ne les affecte pas directement. Jusqu'à ce que l'intolérable les réveillent de leur indifférence.

Brandon était né Teena, au Nebraska, État de l'Amérique profonde ; il avait juste vingt ans et vivait comme un garçon malgré son corps de femme, et il aimait Lana. Il venait d'être enlevé, battu et violé par deux hommes de l'entourage de Lana qui le suspectaient d'être une femme et accusaient son amie d'être lesbienne. Malgré les menaces, Brandon avait porté plainte, mais ses agresseurs restèrent libres. Trois semaines plus tard, le 31 décembre 1993, ses agresseurs retrouvaient Brandon et le tuaient ainsi que deux autres personnes qui l'avaient aidé. L'un de ses meurtriers fut condamné à mort, l'autre à la réclusion à vie. Ce meurtre, effet de l'homophobie comme de la transphobie, suscita une émotion considérable aux États-Unis, au delà des trans ou des homosexuels. Le Guggenheim commanda à l'artiste Shu Lea Chang une installation sur le Web, Susan Muska et Greta Olafsdottir réalisèrent un documentaire (The Brandon Teena Story), et enfin son histoire a été mise à l'écran en 1999 par Kimberly Peirce dans Boys don't cry, film acclamé dans les festivals, notamment pour l'interprétation de Hilary Swank dans le rôle de Brandon.

Cinq ans plus tard, c'est sur une route du Wyoming, que Matthew Shepard, fut battu, torturé et abandonné par deux hommes qu'il avait rencontrés dans un bar ; il devait succomber six jours plus tard, le 12 octobre 1998. Ses agresseurs furent reconnus coupables de meurtre avec préméditation et condamnés à la réclusion à vie ; ils avaient osé plaider que leur meurtre était une réaction de panique parce qu'ils avaient été abordés par un homosexuel. Le président Clinton fit part de sa douleur et de sa volonté de voir les crimes de haine dûs à l'orientation sexuelle punis par la législation fédérale. Matthew devint un symbole de la violence homophobe, et les réactions de solidarité s'étendirent au monde entier.

À travers Brandon et Matthew, les témoignages de leurs amis, les reportages et les oeuvres de fiction ont donné un visage à tant d'autres victimes, anonymes, ignorées, oubliées.