Congrès de Brest
du Parti Socialiste

Contribution rédigée par les adhérents
d'Homosexualités et Socialisme,
membres du Parti Socialiste

 

Dans le cadre des Congrès du Parti Socialiste, l'association Homosexualités et Socialisme présente depuis 1991 une contribution thématique sur l'homosexualité.

À la veille du Congrès de Brest, H&S s'est réunie tout cet été pour élaborer un texte qui fait partie des plus longues contributions déposées le 2 septembre 1997.

L'objectif de ces contributions est de sensibiliser les adhérents et militants du Parti Socialiste aux problèmes que rencontrent les femmes et les hommes homosexuels dans leur vie quotidienne. Ces contributions sont censées faire l'objet de débats au sein des sections et des fédérations départementales du PS.

Ensuite, des motions, qui définissent les orientations politiques du Parti, sont rédigées et soumises au vote des adhérents du PS. Le souhait d'H&S est de retrouver au sein des motions les grands principes de sa contribution, ce qui montrerait que le PS les a pris en considération.

Cet exercice est d'autant plus important qu'aujourd'hui les socialistes participent au gouvernement, et même le dirigent. Bien que ça ne constitue pas un engagement de la part des élus et du gouvernement, l'inclusion de ces principes dans les motions, et notamment dans la motion qui s'annonce majoritaire (Vaillant/Hollande), a valeur d'orientation. Un climat favorable à l'avancée de nos revendications et de celles des autres associations en serait dès lors créé.

Au delà du seul débat interne au Parti Socialiste, le souhait d'H&S est aussi de contribuer au débat inter-associatif et aux discussions entre les individus-citoyens.

Nous vous invitons donc à nous faire part de vos remarque par mail ou par snail-mail. Mieux, de nous rejoindre afin de participer à la grande aventure citoyenne d'élaboration de notre avenir.

Pour le bien-être des femmes et des hommes homosexuels

Pour la quatrième fois, une contribution thématique sur l'homosexualité est incluse dans les textes devant faire débat au sein de notre Parti. Cette récurrence se justifie par la persistance des problèmes rencontrés par les femmes et les hommes homosexuels et par l'évolution des sociétés à leur égard.

Certes, une évolution des mentalités, y compris dans certains milieux politiques conservateurs et libéraux, peut être constatée. Elle résulte en grande partie du travail, à Paris et dans les régions, des associations qui accueillent au quotidien les individus en plein questionnement ou en détresse, ou qui génèrent des événements telles les Marches homosexuelles ou la projection de films à but pédagogique. Ces activités permettent d'informer et d'expliquer la nature des relations entre personnes de même sexe et ainsi de lever l'opprobre dont font l'objet les femmes et les hommes homosexuels.

Cette évolution positive se heurte à la résurgence d'une extrême-droite que nous combattons et qui ne cesse de stigmatiser l'homosexualité. Aujourd'hui détentrice de pouvoirs locaux, elle a confirmé sa vraie nature à Vitrolles. On se souvient en effet qu'en juillet 1997 la municipalité frontiste a licencié une directrice de cinéma pour avoir programmé des films de la série " L'@mour est à réinventer ", qui sont justement des outils pédagogiques. Ces faits nous rappellent une période noire de l'histoire de l'Europe dont nous devons à tout prix éviter le retour.

Si la pression sociale tend cependant à légèrement baisser, ceci n'a pas eu de conséquence législative ou administrative sur le quotidien des individus. Aucun changement significatif n'est en effet intervenu depuis 1990 mis à part l'extension de la notion s les composantes ont au cours des années récentes réaffirmé leur détermination à lutter contre les discriminations et pour l'égalité de droit, nous nous devons de transformer la France, et si possible l'Europe, en un pays de réelle liberté, de réelle égalité, de réelle fraternité.

I. L'homosexualité : une part si importante de la vie d'un être au chemin semé d'obstacles

Les femmes et les hommes homosexuels rencontrent des problèmes qui peuvent être divisés en deux catégories : ceux qui trouveront des solutions définitives et ceux qui perdureront du fait de la nature intrinsèque de l'homme. Nous pensons, par exemple, pour la première à la situation de non-droit des couples homosexuels, à la négation de la déportation d'alsaciens et de mosellans homosexuels pendant la Seconde guerre mondiale ; pour la seconde, aux difficultés de se révéler à soi-même et aux autres (le come-out), à la discrimination sociale qui, comme le racisme, est une faiblesse humaine qu'il faut combattre.

Ce constat nous amène à conclure à la nécessaire pérennité de l'action publique, notamment dans le domaine social. Les développements qui suivent montreront en filigrane la répartition et l'organisation de cette possible action sociale.

Le problème initial rencontré par les personnes dont l'affectivité et la sexualité diffèrent de celle de la majorité est le rejet. Ils subissent presque systématiquement, au moment de la découverte de leur affectivité et de leur sexualité, une exclusion sociale plus ou moins forte, alors que ces femmes et ces hommes naissent au sein de la société, dans les familles. Leur quotidien peut donc être fait de vexations, d'agressions verbales ou physiques, petites ou majeures, allant parfois jusqu'au meurtre. Dans cet entourage originel, le rejet est généré par plusieurs causes : rejet de la différence, rejet de l'inconnu, rejet moral...

Même quand ce rejet n'est pas perçu, c'est l'absence de toute valorisation positive de l'homosexualité (" être homo, c'est bien ") de la part de la société, qui constitue une situation défavorable.

L'apprentissage de la socialisation est balisé de "gratifications" et de "punitions" sociales, qui façonnent le comportement de l'individu. Or, l'absence de valorisations positives provoque à son tour l'inexistence de gratifications sociales des manifestations affectives à l'égard de personnes de son sexe, ce qui a pour effet d'obérer l'intégration de l'individu homosexuel dans la société, en lui ôtant toute perspective d'avenir.

L'absence de valorisations positives dérive d'un rejet souvent refoulé et inavoué. Leur refus, partagé par les partis de droite (certains pays telle l'Angleterre de Mme Thatcher l'ont explicitement formulé dans leurs lois), obsédés par un possible "prosélytisme" homosexuel, même quand ils proclament leur "tolérance", doit être combattu en le dénonçant et en le corrigeant par une action de sensibilisation sociale appropriée.

L'individu doit donc lutter contre les autres... et contre lui-même lorsqu'il en est venu à intégrer les ressorts de cette exclusion, afin de trouver sa place au sein de la société. Souvent, il préfère " l'exode ", qu'il se traduise par une fuite physique, géographique ou par un enfermement psychologique.

Or, cette situation sociale est source de vulnérabilité. Echec scolaire, récurrence des problèmes psychologiques, difficulté à faire face à des problèmes de santé sont parmi les principaux maux imputables à cette vulnérabilité. Le sida est à ce titre le révélateur le plus aigu de celle-ci. Comment admettre l'exigence qui vous est faite par la société de vous protéger, d'organiser une solidarité intra- et inter-groupe, de participer à la protection et donc à la pérennité de la société alors que vous subissez, parfois chaque jour, un rejet social ?

Tolérer ces actes de rejet à l'égard des femmes et des hommes homosexuels est indigne d'une société fondée sur les droits de l'Homme. L'Histoire montre l'arbitraire, la violence et le chantage qui en découlent, minant parfois jusqu'à l'appareil ou les corps de l'Etat.

A ce rejet se conjugue une quasi indifférence du droit.

Certes, grâce à François Mitterrand, Gisèle Halimi et Robert Badinter, depuis 1983 les femmes et les hommes homosexuels ne font plus l'objet en France de discriminations légales. Or, cette situation ne doit pas être considérée comme une tolérance. Il s'agit en fait d'un minimum au regard de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme. Mises à part les lois de 1985, 1986 et 1990 réprimant les discriminations, notamment dans le monde du travail, aucune autre protection n'existe qui permette aux citoyens homosexuels de se défendre. Aucune loi ne les protège des incitations à la haine ou des injures, publiques ou non, alors que plusieurs pays européens ont adopté des lois en ce sens, ou envisagent de le faire, et que la loi française établit des protections dans les cas visant l'appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à " une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée " (art R.624-3 et suivants).

Par ailleurs, aucune loi ne leur offre un cadre juridique stable dans lequel inscrire leur couple leur permettant d'agir solidairement tant en son sein qu'au regard de la société. Impossibilité leur est de fait opposée de faire bénéficier leur compagne ou leur compagnon d'une protection sociale, de réduire leurs charges fiscales par une déclaration de revenus commune, de transmettre leur patrimoine sans subir l'insupportable taux de 65 % d'impôt sur les successions... alors qu'ils acceptent le concept des devoirs tant l'un envers l'autre qu'envers les tiers et la société.

Laisser les individus sans protection légale ou hors du droit positif nourrit un sentiment d'abandon, crée l'exclusion, génère un comportement de victimisation permanent, conforte le séparatisme groupusculaire. L'Etat doit veiller à doter tout citoyen des droits qui lui permettent un épanouissement harmonieux au sein de la société et non à sa marge.

A ce déni de la dimension affective et sexuelle des individus par le Droit, s'ajoute une négation de la dimension sociale de l'homosexualité.

Ainsi, la déportation d'hommes et/ou de femmes homosexuels alsaciens et mosellans pendant la Seconde guerre mondiale n'est-elle toujours pas reconnue officiellement par la République française.

Ainsi a-t-il fallu attendre l'été 1995 pour qu'apparaissent les premières campagnes de prévention sida ciblées vers les homosexuels dans des supports média grand public. Jusqu'alors les supports choisis étaient les seules publications dites " homosexuelles ", les lieux de diffusions les seuls établissements de rencontre (bars, clubs...) et les associations, qui ne drainent pas, loin de là, l'ensemble de la population homosexuelle. Le frein était à la fois la volonté de ne pas aborder publiquement l'homosexualité et la peur de " choquer " la population...

Ainsi n'a-t-on jamais vu de campagne de lutte contre l'homophobie en France, au même titre que les campagnes contre le racisme et la xénophobie, alors que les trois sont explicitement évoqués par des prévenus lors de procès comme justification de leurs actes.

Loin de nous la volonté d'isoler un groupe, de créer une sous-population distincte, une sorte de ghetto. A l'heure où le débat communautarisme/universalisme occupe la une des journaux, alors qu'il semble sans objet dans un pays qui n'a jamais montré une quelconque volonté de s'organiser en communautés, nous souhaitons qu'une réponse sociale soit apportée à une négation sociale opposée aux femmes et aux hommes homosexuels.

II. Le respect obligé d'une citoyenneté pleine et entière

Entre le faible et le fort, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit.
Lacordaire

La Liberté

La liberté est souvent définie comme capacité d'agir, au sein d'une société organisée, selon sa propre détermination, dans la limite de règles définies. La liberté a donc besoin de la loi pour exister pleinement au sein d'une société. En effet, une liberté sans règle laisse au plus fort le loisir de contraindre le plus faible, à une majorité sociétale le loisir d'imposer ses normes à une minorité. Or, le cas de l'homosexualité impose d'aller plus loin pour atteindre une vraie liberté. En effet, nous cherchons l'acceptation pleine et entière de l'individu. Cette recherche suppose que tout un chacun fasse sienne, individuellement et collectivement, la vie de l'autre. Elle suppose un travail sur soi, y compris et surtout parmi les individus qui s'investissent dans la gestion de la Cité. C'est à cette seule condition, à ce seul prix qu'une action politique atteindra la liberté dans notre République et dans le monde car elle comprendra réellement ces enjeux. Comment pouvoir agir pour un meilleur quotidien des femmes et des hommes homosexuelles et les protéger si l'on n'accepte pas ce qu'ils sont, si l'on ne fait pas sien ce qu'ils vivent ? Comment établir des lois justes et appropriées si ce travail n'a pas été fait. Vue au travers du prisme de l'homosexualité, la liberté prend donc un relief qui la rend encore plus essentielle.

La liberté suppose également un strict respect de la laïcité. La puissance publique ne peut en aucune façon se faire dicter ses principes ni ses actions par des lois ou commandements religieux. Ses seules valeurs sont celles de l'intérêt général. Trop souvent dans l'histoire, les obscurantismes, les intégrismes religieux, y compris certaines idéologies politiques, ont promu la discrimination, voire la violence au nom du respect de leurs dogmes. L'histoire montre aussi qu'aucune société empreinte de folie collective ne limite l'application de sa barbarie à l'homosexualité ou ne l'oublie dans sa répression.

L'Egalité

L'égalité est un principe défini dès 1789. Elle est la condition d'une vraie liberté. Elle n'est pas un but mais un agent, un fondement. La seule quête de l'égalité de droits ne servira pas le progrès social et politique car l'égalisation peut parfois s'opposer à l'invention de nouveaux droits qui répondent à de nouvelles exigences sociales.

La Fraternité

La fraternité unit Femmes et Hommes. Elle est constitutive de leur humanité. Elle les incite à agir ensemble pour construire leur avenir et pour se défendre de l'adversité. Cette fraternité nous oblige à maintenir au sein de notre société tous les individus la composant (jeunes, vieux, malades...) en ouvrant les droits sociaux à tous, en luttant contre l'ostracisme sous toutes ses formes (âgisme, racisme, homophobie), entre autres. Elle nous oblige à apporter une protection active à ceux qui sont en danger, quelque soit le lieu où ils se trouvent.

III. La volonté d'agir

A. La lutte pour l'égalité des droits

Au delà du principe d'égalité, nous avons montré en quoi l'exclusion du droit pouvait avoir des conséquences sociales néfastes. L'actualité est à la création de nouveaux droits dans le respect des traditions républicaines, c'est à dire des droits universels et non spécifiques.

Respectant ces principes, le Contrat d'Union Sociale est un texte qui propose à deux personnes qui ont un projet commun de vie de s'engager à une mutuelle solidarité morale et matérielle. Les dispositions fiscales, successorales et sociales incluses dans ce texte permettront à ces personnes de bénéficier d'un cadre qui facilitera leur volonté de solidarité.

Tant les couples homosexuels qu'hétérosexuels pourront s'inscrire dans ce nouveau statut juridique. Celui-ci permettra de répondre par le droit aux problèmes de ces couples. Pourront aussi en bénéficier des binômes qui n'entretiennent pas de relations affectives mais qui sont animés par un désir d'entraide fort.

L'équilibre entre droits et devoirs garantira le respect de la philosophie du texte car il prévoit des obligations entre les contractants, entre ceux-ci et les tiers et la société.

En 1996, notre parti a mené une réflexion approfondie sur cette proposition émanant de la société civile. Il a adopté les grands principes qui la sous-tendent à l'occasion de la Convention sur la Démocratie en juin de cette même année. Depuis, les groupes parlementaires socialistes ont déposé une proposition de loi reprenant les principales dispositions du Contrat d'Union Sociale.

A ce jour, le gouvernement a exprimé, par la voix d'Elisabeth Guigou, son engagement à voir le texte adopté. Le travail gouvernemental conjugué à celui des parlementaires de la majorité permettra à ce texte d'aboutir. C'est notre volonté que nous souhaitons réaffirmer ici avec force et détermination.

B. La lutte pour l'intégration sociale

Si donc, ces dernières décennies, avec l'évolution des mentalités et des législations, la France est devenue globalement un lieu où les homosexuels ont acquis une certaine liberté, l'attention portée aux problèmes qu'ils rencontrent s'est affaiblie. Or, les difficultés tant matérielles que sociales qui sont leur lot quotidien n'ont pas pour autant disparu. Les conséquences de l'épidémie de sida a en cela été un cruel révélateur. Beaucoup reste donc à faire tant au plan législatif que social.

Le gouvernement, les législateurs et les collectivités territoriales peuvent et doivent agir de concert. Enfin, s'il exerce avec le Parlement un rôle d'initiateur des lois, le gouvernement devra aussi prendre toutes les mesures administratives et réglementaires afin que les dispositions ici avancées soient effectivement appliquées.

Protection de l'individu

Au nom de la liberté et de la fraternité telles que nous les avons définies, la France, signataire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, et plus particulièrement les socialistes, doivent s'assurer du respect de l'intégrité physique et morale des personnes homosexuelles en luttant contre toutes les discriminations légales ou sociales en France, et dans le monde.

Protection de l'expression publique et culturelle

Aucune oeuvre ne fera l'objet d'une censure du fait de la nature homosexuelle du sujet traité ou de l'homosexualité de l'auteur. Nous pensons particulièrement aux bibliothèques, expositions, musées, festivals de film, de théâtre ou à toute autre activité culturelle.

Sensibilisation du corps social

La lutte contre le rejet social et l'homophobie passe par la sensibilisation de la société, donc par une pédagogie collective.

A l'image des campagnes de lutte contre le racisme et la xénophobie, des campagnes nationales d'information sur les sexualités pourraient permettre de dépassionner le rapport au sexe, et plus particulièrement à l'homosexualité. Les supports de campagne seraient les plus nombreux possibles (presse généraliste et presse spécialisée [sportive, jeunesse, familiale...], expositions, débats) et couvriraient l'ensemble de la population. Dans le même esprit, des documents seraient mis à disposition des parents et futurs parents (diffusés par exemple par les gynécologues et les pédiatres) afin qu'ils puissent réagir sereinement lorsqu'ils ont à appréhender la sexualité de leur enfant, notamment l'homosexualité.

Le rejet provient souvent de l'ignorance. Il est donc important que la recherche puisse étudier les questions d'enjeu sociologique soulevées par l'homosexualité. Ainsi, les sociologues souhaitant étudier des sujets comme l'homophobie et ses ressorts, ou encore le suicide chez le jeune homosexuel doivent pouvoir le faire. La connaissance apportée par ce type d'étude permettra alors d'adapter les messages diffusés pour sensibiliser le corps social.

Les jeunes

Le temps de première socialisation que représente l'école correspond aussi à celui de la maturation affective et physique. C'est pendant cette période que tous les élèves ont besoin d'une information objective et raisonnée sur l'affectivité et la sexualité. Ce qui induit en tout premier lieu un élargissement de la notion de couple et de famille, notamment à la dimension homosexuelle dans la distribution des rôles de l'imaginaire de l'enfant en milieu scolaire et para-scolaire.

Sans que l'école ne se substitue aux parents, elle doit néanmoins aborder ces sujets pour, d'une part, palier un manque d'information qui doit être dispensée de façon dépassionnée, et, d'autre part, fournir information et prévention sur les Maladies Sexuellement Transmissibles, notamment le sida. Il est en effet du devoir de la communauté nationale de suppléer le mutisme qui règne dans la plupart des familles soit parce que la morale de certaines familles interdit de parler ouvertement de sexualité, soit parce que la gêne ressentie par les parents et les jeunes empêche tout dialogue. Cette sous-information pérennise les idées préconçues sur les sexualités (opprobre à l'égard des homosexuels) et met en danger les jeunes, notamment les jeunes homosexuels, qui, désarmés, devront faire face à eux-mêmes, au regard des autres et à la menace des maladies. Rappelons qu'aujourd'hui un tiers des malades du sida ont contracté le V.I.H. alors qu'ils étaient en âge d'être lycéen ou étudiant.

Les cours sur les sexualités devraient donc être renforcés et systématisés et inclure une explication des notions d'affectivité, de désir et de plaisir, dès le collège. Des études pourraient être menées sur l'opportunité de débuter ces cours, de façon adaptée et progressive, dès les classes primaires. Une explication claire et ayant pour but de déstigmatiser l'homosexualité devrait être obligatoirement incluse dans ces cours. Ceux-ci doivent être donnés par un personnel spécialement formé et éventuellement extérieur aux établissements. En plus de l'information factuelle, des personnes capable de relayer cette information devraient être systématiquement mis à la disposition des jeunes au moment de ces cours. Ces relais doivent être différents des contacts immédiats à l'élève, mais ils peuvent se trouver à l'intérieur du cercle scolaire. Dans cette optique, les centres de documentations, les infirmeries, et les permanences sociales ou psychologiques doivent être mis à contribution. Ceux-ci devraient donc diffuser des informations plus approfondies pour les jeunes qui sont à la quête d'informations, et jouer elles-mêmes le rôle de relais vers des structures d'accueil et d'information situées à l'extérieur du cercle scolaire et plus professionnalisés, qui pourraient prendre la forme de "planning de la jeunesse ". Les permanences dans les collèges, lycées et facultés en coopération avec les associations d'élèves et d'étudiants devraient être renforcées.

L'ensemble de ce dispositif dirigé vers les jeunes doit compléter l'action de sensibilisation de l'ensemble du corps social. Il doit surtout permettre aux jeunes de mieux se connaître eux-mêmes pour mieux s'accepter, ainsi que de mieux gérer leur sexualité. Une information décomplexante sur la sexualité donne les moyens d'aborder de façon saine le rapport au sexe, en particulier le pouvoir de refuser des relations sexuelles prématurées que l'on tenterait de leur imposer.

Combattre la solitude et l'isolement.
Enrayer un exode contraint.

Nés et élevés au sein de familles souvent sous-informées et non-préparées, les femmes et les hommes homosexuels cherchent des lieux extérieurs au cercle familial, non seulement pour rencontrer leurs pairs mais aussi pour trouver des réponses aux questions qu'ils se posent sur eux-mêmes. Bien que des lieux commerciaux tentent de répondre à cette attente, il se développe un sentiment très fort d'isolement et de solitude qui pousse les individus au pire au suicide, au mieux à un exil vers les grandes villes, délaissant leurs campagnes et petites villes de naissance. A ce jour, peu de lieux non commerciaux existent pour répondre à cette attente.

Une politique territoriale volontariste devraient donc donner aux femmes et aux hommes homosexuels la possibilité de vivre " au pays " ou dans l'environnement de leur choix. Cette action devrait être relayée par des pairs pour des raisons évidentes de mise en confiance. La solution passe notamment par les associations qui ont développé au fil des années des connaissances, des compétences et même, pour certaines, une expertise. Ces associations s'imposent également comme les relais primordiaux des lignes d'écoute.

Il s'agit donc d'aider à la création et au développement des Maisons des Homosexualités ou des Centres Gais et Lesbiens. Ces lieux d'accueil dont certains existent depuis plus de 20 ans mais végètent faute de moyens, remplissent une fonction de socialisation, d'information et d'écoute de première importance. Ils sont souvent la plate-forme associative locale qui renvoie sur les autres associations. Ils sont aussi des relais et des acteurs de prévention contre les MST.

Nous insistons sur l'aide à la création et au développement des lignes d'écoute anciennes tels Ecoute Gaie et Les Médecins Gais ou nouvelles tels SOS Homophobie ou les toutes récentes lignes ouvertes dans les moyennes villes qui représentent grâce à l'anonymat la possibilité d'établir un premier lien social.

Enfin, il faudra favoriser le développement des moyens d'information et de communications utilisant des technologies modernes tel Internet qui permettent de rassembler des individus dispersés géographiquement.

Le monde du travail et de l'entreprise

Le monde du travail représente, par l'astreinte humaine et horaire qu'il implique, un cadre de contraintes difficiles à gérer. Tout comme le racisme, l'homophobie tend à s'y développer rapidement si la situation n'est pas maîtrisée sociologiquement.

Une réflexion associant les partenaires sociaux (patronat, syndicats), les pouvoirs publics (inspecteurs du travail, assistantes sociales, médecins du travail), et les associations permettraient de s'assurer que les différentes législations, notamment anti-discriminatoires, soient scrupuleusement respectées. On pense en particulier au harcèlement, à l'avancement, aux licenciements abusifs, aux conditions d'embauche, aux relations entre collègues et avec la hiérarchie.

Parallèlement des campagnes d'information doivent être organisées au sein des lieux de travail en coopération avec les acteurs sociaux et les comités d'entreprise.

Enfin, une attention particulière doivent être prêtée à la formation des professions en contact avec le public tel les enseignants et éducateurs, les travailleurs sociaux, les médecins et professions paramédicales, les personnels d'encadrement sportifs, les forces de l'ordre afin qu'au travers d'eux le respect des individus se propage et devienne une valeur effective. Optionnels ou obligatoires, des cours spécifiques sur les sexualités seront notamment institués dans les IUFM sur la pédagogie de l'éducation sexuelle.

Le grand âge

Au delà d'un certain âge, les homosexuels sont confrontés, comme les hétérosexuels, à un plus grand isolement social, quand ils ne sont plus entourés par leur famille, qu'elle soit leur famille d'origine ou leur famille de choix.

Cette solitude fragilise leur état de santé psychologique et nombreux sont ceux qui sont tentés par l'alcool, les psychotropes, voire le suicide. Certains sont plus vulnérables face au sida, ne se sentant pas autant concernés par la maladie qu'ils envisagent comme une façon " d'en finir ". Il faut également constater que les messages de prévention ne représentent qu'un type d'homme : le jeune de moins de 35 ans auquel les homosexuels âgés ne s'identifient pas forcément.

Cette disparition du goût de vivre est souvent liée à une mauvaise intégration sociale, à la difficile projection dans l'avenir qui obturait leur jeunesse, à l'impossibilité de construire une vie sociale.

Dans les maisons de retraite, ils sont souvent exposés à l'ostracisme des autres pensionnaires et du personnel ce qui crée un isolement psychologique encore plus douloureux que la solitude physique.

La formation adaptée des personnels soignants et d'encadrement dans les maisons de retraite ou au sein des services d'aide à domicile apparaît donc comme particulièrement nécessaire.

Santé physique et psychologique

Les santés physiques et psychologiques ne peuvent être dissociées. Le monde médical doit appréhender l'individu homosexuel sans préjugé moral. Il doit prendre en considération les demandes des patients liées à l'homosexualité. Ceci implique une connaissance réelle des rapports affectifs homosexuels et de la sexualité homosexuelle. Il paraît donc nécessaire de mettre en place les modules de formation initiale et continue à cet effet.

Dans le cadre du sida, nous voulons que perdure une politique de santé publique volontaire.

Nous souhaitons la poursuite et l'intensification des campagnes de prévention qui n'utiliseraient pas les seuls canaux de la presse dite " homosexuelle ". Nous voulons que le soutien aux lignes d'écoute tel Sida Info Service ou Ligne de vie continue, que les autorités publiques continuent d'être à l'écoute des propositions des associations, notamment lorsque celles-ci expriment des besoins sociaux flagrants.

Nous souhaitons que l'évolution de la maladie du sida soit accompagnée d'un dispositif de soutien aux personnes séropositives ou atteintes et à leurs proches. Nous pensons notamment aux situations anciennes des couples sérodifférents dont le quotidien devient vite un enfer si les partenaires ne trouvent pas un lieu d'expression libre et de soutien psychologique. Nous pensons aux situations nouvelles des personnes atteintes qui grâce aux récentes thérapies sont confrontées à l'obligation de réorienter leur vie tant à court terme qu'à long terme.

Nous souhaitons également que les actions de prévention contre les autres MST, notamment les hépatites B et C soient renforcées et adaptées aux femmes et aux hommes homosexuels lorsque cela est justifié.

Néanmoins, nous souhaitons que le subventionnement des associations homosexuels cessent de transiter par le Ministère de la Santé. Certes la France a opté, bien tardivement, pour une approche identitaire et communautaire de la lutte contre le sida, justifiant en cela le soutien et parfois même le maintien en vie de certaines associations homosexuelles qui représentait des vecteurs pour la prévention. Alors qu'aujourd'hui, il est clair que la plus grande vulnérabilité des homosexuels face au sida est due tant à leur difficulté à simplement exister dans la société (poids du tabou, de la négation) qu'à l'exclusion sociale (indifférence du droit, discriminations sociales), pourquoi ne pas transférer ces compétences à un autre secteur public que sont les Affaires sociales ? Au delà d'un seul jeu d'écriture comptable, le geste revêtirait un caractère symbolique qui sans nier les besoins d'une politique de santé publique adaptée ne cantonnerait plus les femmes et les hommes homosexuels dans le seul champ de la santé. Nous rejoindrions ainsi la volonté du gouvernement de Pierre Mauroy qui, en 1982, a décidé que la France ne considérerait plus l'homosexualité comme pathologie.

La particularité de l'univers carcéral

Si la prison entrave ou hypothèque les rapports affectifs antérieurs, personne ne nie qu'il existe une sexualité en prison, volontaire ou contrainte, et qu'il se crée parfois des liens affectifs entre détenus. Or, l'humanisme dicte de respecter les besoins vitaux d'une personne (nourriture, sommeil...). Considérant que l'affectivité et la sexualité sont des besoins vitaux, nous souhaitons qu'ils soient respectés. Or l'univers carcéral isole les individus par genre sexuel créant une problématique complexe au regard de l'affectivité et de la sexualité.

D'une part, des femmes et des hommes homosexuels se retrouvent dans des situations paradoxales : ils bénéficient rarement de la situation, développant parfois avec une autre personne une relation qui souvent ne connaît pas de lendemain, une fois la peine purgée, ou, au contraire, ils font l'objet de mauvais traitements de la part des codétenus qui soit les persécutent, soit les asservissent sexuellement. Afin d'humaniser l'incarcération, nous proposons donc que les détenus qui souhaitent être protégées le soient et que ceux qui souhaitent " vivre " avec la personne de leur choix ne soient pas séparées.

D'autre part, certaines personnes entrent dans des relations affectives et/ou sexuelles alors qu'elles n'étaient pas homosexuelles auparavant. Ces personnes ne doivent pas faire l'objet d'opprobre de la part de l'administration qui doit veiller à protéger sans jugement moral leur intégrité physique et psychique. Si elles le souhaitent, elles ne doivent pas être séparées.

Enfin, il faut insister sur les besoins d'une prévention contre les MST et notamment le sida en milieu carcéral. Si l'essentiel de la contamination est due à certaines formes de toxicomanie, les activités sexuelles des détenus les exposent. Le confinement qui implique, certes rarement, des actes sexuels exige une réelle prise en compte de ce phénomène. La mise à disposition des outils de protection est donc indispensable. A défaut, l'indifférence équivaudrait à une deuxième peine, celle de la maladie et de la mort.

Nous souhaitons par ailleurs que des parloirs sexuels soient institués qui ne créent pas de discriminations entre les sexualités.

Mémoire et respect de l'Histoire

L'Histoire de la Nation ne doit pas être amputée de certaines parties de sa mémoire. Or, à ce jour, la déportation d'homosexuels alsaciens et mosellans pendant l'occupation n'a toujours pas été reconnue par la République française. Il semble pourtant que cette déportation relève de sa responsabilité, car ce sont les fichiers " homosexuels " tenus par la police française officiant avant l'annexion par le Reich qui ont été utilisés par la Gestapo pour arrêter les futurs déportés. Ces fichiers ont, dans certains cas, étaient remis complaisamment à la Gestapo, à l'instar d'autres fichiers.

Une enquête devrait être menée par le Ministère des Anciens Combattants afin de déterminer les réelles responsabilités de la République française. Elle permettrait ainsi de mettre fin à des années d'amnésie collective. Elle restaurerait simultanément la dignité des femmes et des hommes déportés et celle de la République. Elle permettrait enfin aux déportés homosexuels de sortir de l'oubli intolérable dans lequel leurs souffrances ont été si longtemps étouffés.

Soutien aux associations

Pour développer les actions à long terme ci-dessus exposées, le rôle-clé des associations nécessite des compétences qui ne peuvent s'acquérir et s'affiner que si l'existence même de l'association est pérenne. Ce qui implique un soutien franc et continu de la part de la puissance publique. Or, à ce jour, trop peu d'associations homosexuelles bénéficient de subvention que ce soit de l'état ou des collectivités locales et territoriales. De plus, ces trop rares subventions ne sont généralement attribuées que pour des actions ponctuelles, ne considérant les besoins structurels des associations que dans la limite des actions soutenues. Les associations qui représentent pourtant un terrain fertile d'imagination sociale ne peuvent se consacrer à l'invention de nouveaux modes d'action, si leur énergie est en trop grande partie absorbée par la recherche de financement ; nous pensons notamment aux Maisons des Homosexualités et aux Centres Gais et Lesbiens dont les frais fixes sont souvent très élevés, les obligeant parfois à fermer leur porte comme à Lyon en 1996.

Des financements pluriannuels qui permettent un fonctionnement, la mise en place de programmes à long terme sont donc plus que nécessaires ainsi que des relations suivies et régulières entre les associations, l'état, les collectivités territoriales et toutes les autorités administratives.

International

L'homosexualité est condamnée ou fait l'objet d'opprobre et de violence dans de nombreux pays. Ceux dans lesquels le libre choix de sa sexualité est garanti sont de loin minoritaires. Or, en tant que socialistes, nous ne pouvons que prôner une solidarité internationale à l'égard de tout être persécuté.

Nous souhaitons donc que les conditions d'attribution du droit d'asile soient élargies aux homosexuels qui sont persécutés par les autorités et les forces de l'ordre de leur pays ou qui subissent une pression sociale insoutenable pour le seul fait d'être homosexuel.

Toutes les pressions politiques et économiques au niveau international devraient être exercées afin que le sort des homosexuels dans le monde s'améliore. Dans le même esprit et dans le cadre de la coopération ou de l'aide au développement, des soutiens techniques et financiers à des associations créées dans des pays étrangers, à l'instar de l'action menée par les Pays-Bas, paraissent des initiatives judicieuses.

Alors que de nombreux pays dans le monde connaissent une évolution positive des conditions de vie des homosexuels de par une évolution législative et sociale volontaire, la France doit s'engager elle aussi à compléter la Loi, à prendre les mesures sociales adéquates afin que ces femmes et ces hommes homosexuels atteignent le bien-être auquel ils aspirent. Les socialistes doivent donc s'assurer que tout sera fait afin que le rejet et la discrimination soient combattus par la Loi mais aussi par la sensibilisation sociale. Ils devront simultanément s'assurer que les droits nouveaux nécessaires à la confirmation de l'évolution sociétale soient adoptés. Enfin, ils devront se porter sur le front international de la lutte contre l'oppression en solidarité avec tout individu persécuté pour sa préférence sexuelle. C'est à ce seul prix que nous socialistes pourrons un jour déclarer que nous avons apporté à la France, et au monde, la Liberté, la Fraternité et l'Égalité.

Premiers signataires

David AUERBACH, Ali BEN YOUSSEF, Alain BOULANGER, Philippe DUCLOUX (adjoint au maire du XIème arrond. de Paris), Nicolas GONTHIER, Daniele HOFFMANN (conseiller de Paris), Mathieu KLEIN, René LALEMENT, Philippe LECONTE, Stéphane MARTINET, Michel OTTAWAY (1er adjoint au maire du Xe arrond. de Paris), Xavier PRIEUR, François VAUGLIN, Nicolas VERDON, Michel VIÉ, Adeline HAZAN (secrétaire nationale aux Questions de Société), Christine PRIOTTO (membre du Bureau National).