Le cyber-entretien

 

Jacky Fougeray, journaliste 

F.G.L. : Au mois de Mai, vous allez fêter les dix ans d'existence du magazine Illico, pouvez-vous en retracer le cheminement pour les lecteurs de la France Gaie et Lesbienne ? 

Jacky Fougeray : En 1979, j'ai rejoint l'équipe des gens qui vont faire le magazine Gai Pied, cela durera 3 ans. Ensuite, je pars avec le sentiment de faire une presse plus professionnelle dans la présentation, de donner accès au sujet d'information. A la suite de cela, nous créons Samouraï en 1985, qui vivra deux ans. Il cessera par manque de rigueur dans sa gestion. C'était une excellent leçon. 
En 1986 Illico démarre. L'idée de la presse gratuite, déjà bien implantée dans les pays anglo-saxons est apparue. C'était un excellent moyen de toucher beaucoup de gens qui n'avaient pas forcément envi de débourser une somme même modeste pour s'informer. Gai Pied marquait le pas avec l'apparition de la presse érotique du groupe David Girard. Donc on a expérimenté la formule Illico : un format relativement facile à prendre - une information rapide synthétique, qui n'entrait pas dans des analyses extrêmement fouillées. Mais qui donnait un bon résumé, un bon panorama de l'information qui pouvait concerner les gais. 
Initialement diffusé gratuitement dans les établissements gais parisiens, il devient aussi gratuit dans les villes de province par l'entremise du SNEG et de ses correspondants. 
A partir d'Illico, les choses se sont étoffées. On a eu Double Face. C'était une manière de scinder en deux le magazine. Il était devenu très épais, il y avait beaucoup de pubs. On a scindé ce qui était plus la partie loisirs, sorties, nuit, établissement homosexuels, scène gaie, etc, dans un magazine de même format, mais qui paraît lui le 15 du mois. Donc on avait une pagination doublée, à travers deux titres. Et puis de fils en aiguilles, d'autres titres ses sont greffés à cela, avec Idol en 1993 et puis deux magazines sous licences édités aux Etats Unis par le groupe The Advocate, qui fait un petit peu ce que fait Ex Aequo en France : un magazine d'information qui paraît tous les 15 jours. Ils sont en plus éditeurs de deux titres de presse érotique que moi je juge de la presse érotique intelligente. 
Et puis un peu plus tard, c'était la dernière création importante, qui est directement rattachée au travail d'information que l'on avait entrepris autour d'Illico. Le sentiment qu'Illico était un espace trop étroit pour vraiment traiter les questions que l'on avait envi d'aborder. On voulait absolument créer un magazine plus étoffé, plus exigeant avec comme fond d'analyse, le fait que le sida a quand même grosso-modo obnubilé les esprits pendant une dizaine d'années et a rejeté toute la problématique homosexuelle au second plan. 
Il nous semblait qu'il y avait lieu d'ouvrir un espace que Gai Pied avait bien rempli, dans les premiers temps de son existence, quand le sida lui-même n'était pas devenu l'obsession, légitime d'ailleurs. Où l'on pourrait faire intervenir beaucoup de gens : des universitaires, des chercheurs, des sociologues, des artistes, des hommes politiques. Illico n'était pas le support pour ça. Ex Aequo a été conçu comme un espace ouvert dont le voisinage commercial permettait à tout le monde d'intervenir. 

F.G.L. : Avez-vous établis un profil de lecteur ? 

J.F. : Sur Illico on a un lectorat principalement parisien. Ce sont des gens qui vivent bien. 
Sur Idol, on a une clientèle assez jeune, de 18 à 30 ans, qui vivent bien, bien dans leur peau, pas trop mal dans leur tête en tout cas, se sont des urbains de province. C'est un journal très très provincial, Idol. Ce sont des gens qui sont bien dans leur peau mais pas hyper politisés. Ils ont une connaissance à la fois de caractère encyclopédique : ça les intéresse de connaître la littérature homosexuelle, les musiciens homosexuels, le cinéma et l'homosexualité. Ils sont dans une optique culturelle mais au sens large... Donc des gens plutôt bien dans leurs baskets, décontractés, mais qui ne sont pas des militants, ce ne sont pas des gens radicaux. 
Sur Ex Aequo, on a un pourcentage équilibré entre la province et Paris, avec un niveau socio-professionel hallucinant, sur-diplômé, avec un ancrage politique affirmé. Surtout, on trouve entre 10 et 15% de femmes.  
Je crois que l'autre évolution importante qui est en train de se produire, est une nouvelle forme de mixité. Maintenant, on s'aperçoit que sans avoir de projet délibérément mixte,...Sans avoir une iconographie sexy, ... simplement en parlant de droit, de culture, on a beaucoup de femmes qui lisaient les articles. Et aussi que les filles sont venues nous proposer d'écrire, sur les arts plastiques, San Francisco... Il y a un début de mixité, que j'appelle décontractée, qui ne se situe plus en guerre de tranchées homme/femme et c'est très porteur d'avenir.  

F.G.L. : Au début de l'entretien, vous parliez de gestion ... 

J.F. : Il fallait que l'on ait les moyens de faire ce que l'on avait envie de faire, les moyens de faire sans se renier.,... avec d'un côté, ... la part la plus noble qui est de faire de l'information, c'est le début et c'est la fin : Illico le premier, et Ex Aequo le dernier. Donc il y a une constance en 10 ans. Et puis ça a donné des choses dont on ne rougit pas : la presse érotique sous licence est très rentable, elle rapporte de l'argent - les mensuels gratuits sont également bénéficiaires, ils drainent beaucoup de publicité. Il y a une activité de vente par correspondance qui est rentable qui doit beaucoup aux journaux. Et il y a des titres qui ne sont pas rentables, qui ne le seraient pas s'ils étaient exploités hors d'une logique de groupe. 

Propos recueillis par Pierre Léonard
 
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1/5/98 © Gais et Lesbiennes Branchés